Comment défendent-ils leurs droits ?

Irène Bellier

Sciences Humaines N° 327 - Juillet 2020

Depuis quelques décennies, des dispositifs internationaux accordent des droits aux peuples autochtones. Mais leur mise en œuvre reste dépendante d’États réticents.

L’expression « peuples autochtones » a été retenue par l’Onu pour protéger juridiquement des groupes sociaux, linguistiquement et culturellement divers, descendants de populations spoliées par la colonisation. Au sein des États indépendants, ils sont particulièrement vulnérables. Dès le temps du premier contact, dont la date varie selon les régions du monde et l’arrivée du colonisateur (lequel n’est pas exclusivement européen), l’horizon des peuples autochtones est de lutter pour la survie. Diminués par des politiques génocidaires, les autochtones sont victimes de processus d’effacement culturel, conséquences des politiques assimilationnistes, dont rend compte le terme « ethnocide » qu’utilise Robert Jaulin (La Paix blanche. Introduction à l’ethnocide, 1970).

Racisme et discriminations

Leurs sociétés se sont adaptées à tous les écosystèmes et font preuve de résilience. Mais elles sont menacées par la manière dont les États les ont historiquement marginalisées, en les privant de territoires, de citoyenneté et de reconnaissance, en laissant libre cours au racisme et à la discrimination, en intégrant leurs enfants dans une école méprisant leurs langues, identités et cultures. Elles sont bousculées par l’avancée de nouveaux fronts de colonisation : les industries extractives (agroindustrie, foresterie, mine) qui font primer l’exploitation des ressources sur le bien-être des humains et la vitalité des écosystèmes ; l’industrie du tourisme qui place les autochtones en situation d’objets culturels exotisés ; le pillage de leurs savoirs. Toutes sortes d’inégalités se nichent dans les situations où ils ne sont pas considérés comme des sujets politiques à part entière.

Les marches civiques des années 1960 ont nourri le mouvement indien dans les Amériques, puis le mouvement autochtone international, la cause s’élargissant au monde. Sollicitant le soutien des secteurs onusiens dédiés à la défense des droits humains dans les années 1970, les représentants autochtones ont saisi la communauté internationale de leur demande de droits. Sortant de l’invisibilité dans laquelle les tenaient les États, les autochtones cherchent à protéger leurs identités, leurs institutions, leurs modes de vie et de subsistance, leurs langues, leurs territoires, leurs membres.

Après vingt-cinq ans de négociations, l’Assemblée générale des Nations unies adopta, le 13 septembre 2007, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), à l’immense majorité des États membres. Après que les seuls quatre pays qui s’y opposaient – l’Australie, le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande – sont revenus sur leur position en 2009 et 2010, les deux premiers demandant « pardon » aux peuples aborigènes et autochtones pour les torts de la colonisation et leurs actuelles conséquences, l’ensemble du système international doit dorénavant mettre en œuvre ses dispositions.

Le document, de portée universelle, constitue un socle de droits. Au cœur du dispositif figurent le droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, et des droits collectifs complétant l’arsenal des droits individuels. Composée de 46 articles, la DNUDPA s’organise autour de plusieurs grands pôles : les droits fondamentaux, les droits à la vie et à la sécurité, les droits à l’éducation, au savoir, à l’emploi, à l’information (médias), les droits à la culture, à la spiritualité, à la langue, les droits économiques et politiques et, condition majeure pour l’existence de sociétés culturelles distinctes, le droit aux terres, territoires et ressources naturelles (TTR), dont nul peuple ne peut être privé. Joint à la reconnaissance du droit à l’autodétermination, le bloc des articles TTR a constitué la raison pour laquelle la négociation dura si longtemps, les États, notamment ceux bâtis sur une colonisation de peuplement, craignant que leur souveraineté politique et l’intégrité de leur territoire national soient mises à l’épreuve.

La mise en œuvre de la Déclaration

L’application des droits est une préoccupation majeure pour les organisations autochtones qui ont négocié la DNUDPA et pour le système onusien qui, depuis le premier groupe de travail établi en 1982, s’est ouvert à leur participation. L’Onu a mis en place deux institutions, l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, qui siège à New York et transmet ses recommandations au Conseil économique et social, et le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, qui se réunit à Genève, étant placé près du Conseil des droits de l’homme.

Les contributions des experts autochtones, membres élus et nommés dans ces instances, portent sur les moyens de pousser les États et les entreprises à respecter les droits ; celles des observateurs autochtones, plusieurs milliers venus du monde entier, portent généralement sur leurs violations.

Le processus de la Déclaration pousse à reconnaître les peuples autochtones de différentes façons : par l’inclusion de dispositions constitutionnelles ou législatives explicites, comme en Amérique latine et dans les pays qui ont adopté la Convention 169 sur les peuples autochtones et tribaux de l’Organisation internationale du travail ; par des voies détournées, comme c’est le cas en France du peuple kanak, mentionné à l’accord de Nouméa qui, lui, est référencé dans la Constitution ; ou par des politiques ciblant les groupes dits « vulnérables » ou « marginalisés », comme la Namibie désigne les San.

On voit quelques progrès dans les dispositifs internationaux et, dans une moindre mesure, nationaux. La Conférence mondiale des peuples autochtones a débouché, en 2014, sur l’adoption d’un Plan d’action à l’échelle du système (SWAP, en anglais) destiné à servir de feuille de route à la mise en œuvre des droits ; des plans d’actions nationaux sont élaborés pour faire face aux situations autochtones ; l’Union européenne produit des résolutions, témoignant d’une prise de conscience de la condition desdits peuples.

Mais force est de constater aussi le recul du respect des droits humains dans plusieurs pays où les mobilisations autochtones, sociales ou environnementales sont réprimées et leurs leaders assassinés : parmi des centaines de cas, citons Cristina Bautista en Colombie, Berta Cáceres au Honduras, Paulo Paulino au Brésil. Les organisations autochtones demandent justice auprès des organes de suivi des conventions et auprès des systèmes régionaux de droits humains, deux voies qui peuvent aboutir à des recommandations aux États mais ne sont guère suivies de sanctions en cas de non-respect. Elles déploient des actions sur Internet pour construire des collectifs relayant leurs causes et mobilisent les réseaux de la société civile, dont les peuples autochtones forment l’un des neuf groupes majeurs. Elles s’impliquent dans la gouvernance mondiale du développement, du climat ou de la propriété intellectuelle pour ne pas y être invisibles.

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