Éditorial

Comment peut-on être croyant ?

Jean-François Dortier

Sciences Humaines N° 324 - Avril 2020

Il fut un temps où il était impossible d’être incroyant. L’historien Lucien Febvre l’avait bien montré dans Le Problème de l’incroyance au 16e siècle : Rabelais pouvait critiquer vertement l’Église et les curés, mais il ne pouvait être athée, c’était hors du cadre mental de l’époque.

Aujourd’hui, à l’heure des ordinateurs et de la physique quantique, on peut se demander comment il est encore possible de croire. Croire en un dieu mort et ressuscité ? En un Dieu omnipotent qui envoie l’ange Gabriel à un obscur bédouin du désert pour donner ses consignes à l’humanité entière ; sans parler des bouddhas de lumière, des miracles, des démons, des anges et des feux de l’enfer, et de toutes ces croyances irrationnelles qui sont le lieu commun de l’ensemble des religions.

Une réponse à cette énigme est peut-être la suivante : en réalité, la plupart des croyants d’aujourd’hui ne croient pas vraiment aux dogmes de leur propre religion. Ainsi, une majorité de chrétiens ne croit pas en la résurrection des morts alors que c’est pourtant le dogme officiel de l’Église. La plupart ne s’attachent guère à la véracité des miracles : l’arche de Noé, les plaies d’Égypte, la multiplication des pains ou la lévitation des mystiques.

Très tôt, les théologiens juifs, chrétiens et musulmans ont produit des interprétations distanciées des textes sacrés. À la lecture littérale de la Bible ou du Coran, on peut substituer des lectures morales, spirituelles, existentielles ou métaphysiques. Et au jeu des lectures multiples, on peut toujours concilier foi et raison, être à la fois physicien et musulman ou expert en technologie numérique et pasteur évangélique. Un ami chrétien m’a dit un jour : « Qu’importe au fond qui était vraiment Jésus, qu’importe la virginité de Marie ou le mystère de la Trinité ; ce qui compte pour moi, c’est un message d’amour. » Pour la plupart des musulmans que je connais, « être musulman » n’est ni prôner le jihad, ni même appliquer les cinq piliers de l’islam » ; comme me l’a dit Rachid, « je ne saurais pas où se trouve la direction de La Mecque pour faire ma prière ». Pour la majorité, être musulman, c’est simplement croire qu’il existe un dieu (dont on ne sait pas grand-chose) qui guide dans le droit chemin. Le droit chemin ? C’est avoir une morale : s’occuper des siens, être sobre, pudique, respectueux. Être « quelqu’un de bien » en somme. Pour beaucoup de croyants aujourd’hui, les dogmes comptent moins que les messages – l’amour, la paix, le bien, la joie, la justice, etc. On adhère à des valeurs plus qu’à un corpus de dogmes.

Il est aussi des gens pour qui la présence de leur dieu est plus importante que son existence. Je m’explique. Une amie fervente chrétienne m’a expliqué un jour que Jésus était pour elle comme un « ami imaginaire ». La présence de ce compagnon virtuel à ses côtés la soutenait et comptait plus pour elle que de savoir s’il existait vraiment ou non, ce dont elle n’était pas vraiment sûre. Après tout, n’est-ce pas ce que l’on fait avec les héros de fiction : leur « présence » comme soutien moral ou comme modèle de vie ne signifie pas leur existence effective. Les religions au 21e siècle ont cette capacité d’accueillir en en leur sein de multiples types d’expérience et d’engagement (moraux, sociaux, existentiels, intellectuels, thérapeutiques, etc.) et de multiples degrés d’adhésion (fervents, éclectiques, bigots, mystiques, sceptiques, etc.). Voilà une raison de leur permanence. « Musulmans », « chrétiens », « juifs », « bouddhistes » ou tout simplement « croyants » ne seraient-ils pas juste des étiquettes dans lesquelles on enferme parfois les gens ?

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    Bonjour,


    Dieu pour régner n'a pas besoin d’exister...
    L'important ce n'est pas que cela soi vrai. L'important c'est-ce qui aide à vivre...
    Les religions sont des sectes aux pouvoirs impressionnants (financier, politique et sociale). Leurs influences depuis des siècles sur les populations et les dirigeants ne sont pas anodines.
    Croyez en vous-même et dans vos projets.
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